L’orgue hydraulique des Banu Mûsa (The Hydraulic Organ of Banu Musa)

by Mona Sanjakdar Chaarani Published on: 13th August 2013

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(The Hydraulic Organ of Banu Musa (9th Century): An Early Instrument of Mechanical Music) In the following article, Dr Mona Chaarani describes in a short article in French her reconstruction of the hydraulic organ of Banu Musa (9th Century). This instrument is available to us in a unique Arabic manuscript. It describes an early instrument of mechanical music by the three brothers Banu Musa, scientists from 9th century baghdad, and well known authors of treatises of mathematics and mechanics.

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L’orgue hydraulique des Banu Mûsa (9ème siècle): Un premier instrument de musique mécanique

(The Hydraulic Organ of Banu Musa (9th Century): An Early Instrument of Mechanical Music)

by Dr Mona Sanjakdar*

La musique mécanique plante ses racines dans un manuscrit arabe datant du 9ème siècle de notre ère. Ce manuscrit attribué aux frères Banû Mûssa ben Chaker est intitulé Al-Ala allati tuzammiru binafsiha (L’instrument qui donne un son de lui-même).

1. Le manuscrit

L’original du manuscrit par les frères Banu Mûsa avec ses schémas est introuvable. Nous avons donc utilisé un manuscrit très ancien exécuté par un copiste qui, hélas, n’a pas pris la peine de reproduire les schémas. Ce manuscrit, qui se trouve dans un petit livre qui comprend un ensemble de traités sur des sujets divers, appartient à la bibliothèque de l’école nationale des Grecs Orthodoxe à Beyrouth, au Liban.

L’intérêt de ce manuscrit réside dans sa richesse scientifique touchant plusieurs domaines. Il est composé de dix-neuf pages dont le contenu est divisé en quatre parties.

La première partie s’intéresse à la description de l’instrument et à son fonctionnement. La deuxième traite des méthodes d’enregistrement graphique, afin de distribuer les chevilles sur le cylindre pointé selon la mélodie désirée. La troisième s’attaque au domaine des automates et la quatrième renferme tous les conseils nécessaires au bon fonctionnement de l’appareil.

Notons que le copiste a négligé tous les schémas, de sorte que juste les descriptions s’y présentent. Pourtant les auteurs répètent à plusieurs reprises l’expression « comme nous l’avons dessiné. »

Cependant, la description claire et minutieuse nous a permis de faire une reconstitution de l’instrument par des dessins, et aussi en trois dimensions sur ordinateur, suivie d’une animation.

2. Brève description de L’instrument

Dans son ensemble, l’instrument se compose de six parties, bien distinctes, dont chacune comporte plusieurs éléments. Pour une vue générale on se rapportera à la figure 1.

1- Un réservoir d’eau R qui alimente une roue à aubes D qui, par un renvoi d’engrenages, agit sur le fonctionnement de la pompe à air générale.

2- Le grand bloc rectangulaire est la pompe à air générale au fonctionnement assez complexe grâce à des récipients qui alternativement se remplissent et se vident dans deux réservoirs C et C’ situés à la partie basse, et à la partie haute un corps d’alimentation en eau B.

3- Un ballon compresseur d’air S, alimenté par la pompe générale qui alimente en air à pression constante la flûte F.

4- La flûte F avec ses 9 trous (un toujours ouvert, et 8 obturables par des tampons commandés par les picots et les ponts du cylindre enregistré). C’est une flûte genre flûte à bec à sifflet, et non une flûte traversière comme chez le flûteur de Vaucanson.

5- Au-dessous, le cylindre enregistré. On peut lui adjoindre un système de translation latérale (pas à pas ou hélicoïdal) non représenté ici pour la clarté de cette vue générale.

6- À droite, un réservoir d’eau (en pointillé) alimente une roue à aubes qui fait tourner le cylindre avec une régularité qui peut être assurée par un ingénieux système de bascule à contrepoids.

Pour consulter une vidéo de l’instrument, cliquez ici.

Les frères Banû Mûsa ben Chaker avaient prévu que, pour l’esthétique de l’ensemble, on pouvait cacher tous ces mécanismes dans un socle portant une statue animée de flûtiste qui, par des renvois appropriés, pouvait alimenter directement en air la flûte que la statue jouait avec ses doigts.

3. Enregistrement et distribution des picots sur le cylindre musical

Pour distribuer les picots sur le cylindre musical, les Banû Mûsa proposent la méthode suivante :

On considère un grand cylindre en bois, on enduit sa surface de cire noire et on lui accorde un système d’engrenage (non représenté) qui lui permet de tourner d’un mouvement circulaire uniforme autour de son axe principal.

De plus, on dispose de huit réglettes mobiles autour d’un axe horizontal parallèle à l’axe du grand cylindre. Chaque réglette est attachée à un doigt d’un flûtiste par une ficelle fine et rigide (élasticité nulle). L’autre extrémité pointue doit s’appuyer sur la surface latérale du cylindre (figure 2).

On met le cylindre en mouvement et on demande au flûtiste de jouer sa mélodie. Ainsi, on remarque directement des traces assez claires sur la cire. En effet, lorsque le flûtiste relève son doigt pour ouvrir un trou de la flûte, la ficelle qui lie son doigt à une réglette relève l’extrémité de cette dernière afin que l’autre extrémité qui affleure la surface de la cire appuie plus profondément et laisse une gravure. L’action se répète pour chaque doigt, donc pour chaque note. Ainsi les notes de la mélodie sont bien gravées sur la cire.

Finalement, il suffit de mesurer les longueurs respectives des gravures, de tailler les picots correspondants et de les fixer sur le cylindre musical de l’instrument, tout en respectant l’ordre et les distances qui les séparent.

Pour une animation de l’enregistrement graphique, cliquez ici.

4. Les automates

Dans cette partie du texte, les Banû Mûsa expliquent le mécanisme d’un flûteur automate donnant par là le premier embryon d’un androïde musical (Figure 3).

Ils disent:

« Si l’on veut créer un androïde flûtiste, il suffit d’incorporer tout l’instrument dans le corps même d’une statue, de fixer la flûte dans sa bouche et d’habiller les leviers en doigts et les adapter à ses bras. De plus il faut recourber ces leviers à l’intérieur du corps de la statue pour qu’ils aboutissent aux picots fixés sur le cylindre musical. Enfin, il faut introduire les conduits d’air dans le corps de la statue et les diriger vers sa bouche, donc vers l’ouverture de la flûte. On peut encore cacher tout l’instrument dans un endroit invisible et de ne faire apparaître que le flûtiste qui joue sur sa flûte. »

Puis les Banû Mûssa expliquent le fonctionnement de l’androïde.

5. Etude du traité et évaluation

Une étude technique critique et analytique de ce traité nous a permis de montrer que l’instrument siffleur des Banû Mûsa est un orgue hydraulique mécanique automatique.

Le nom d’orgue hydraulique est accordé à cet instrument après sa comparaison avec l’hydraule de Ctésibios (Alexandrie, 3ème siècle avant notre ère) et son mécanisme de fonctionnement. Certes les tuyaux de Ctésibios dont chacun produit une seule note sont remplacés chez les Banû Mûsa par la flûte à neuf trous, capable de produire neufs notes différentes.

Le cylindre musical pointé, élément de base d’un instrument de musique mécanique, qui est lié à l’instrument siffleur des Banû Mûsa, nous a permis de lui donner le nom d’orgue hydraulique mécanique

Le fonctionnement automatique de l’instrument, sous l’action de la pression de l’eau et de son poids qui actionne le système d’engrenage, nous oblige à lui accorder le nom d’ « d’orgue hydraulique mécanique automatique. »

Dans cet œuvre, les Banû Mûsa ont montré un génie vivant, présentant des nouveautés dans plusieurs domaines scientifiques. Ainsi on leur doit trois inventions scientifiques majeures: l’invention de la musique mécanique, l’enregistrement graphique et l’androïde musical.

6. L’apport des Banû Mûsa à la musique mécanique

Avec les trois frères Banû Mûssa ben Chaker, la musique mécanique a pris son essor dans le monde arabe à la fin du 9ème siècle de notre ère.

Ils ne se sont pas contentés d’utiliser le cylindre pointé qui est l’élément de base de la musique mécanique, mais ils ont englobé tout ce domaine en donnant des procédés techniques assez avancés pour:

– Enregistrer graphiquement une mélodie à partir d’un flûtiste humain.

– Répartir les chevilles sur le cylindre musical suivant une mélodie bien rythmée.

– Préciser la longueur de chaque cheville suivant la durée de la note correspondante.

– Accélérer ou retarder la vitesse de jeu suivant le rythme désiré.

– Enregistrer sur un même cylindre deux ou trois mélodies.

– Donner à ce cylindre un mouvement de translation pour passer d’une mélodie à une autre.

– Associer au cylindre, outre les leviers de la flûte, d’autres leviers permettant d’actionner des automates  luthiste, danseuses ou joueur de tambour, proposant par là un véritable orchestre automatique.

7. Repères historiques et exemples de reconstruction

I- Reconstitution d’un orgue qui date du premier siècle avant J.C

En 1992 , le professeur archéologue Dimitros Paternalis dans ses fouilles dans le temple de Zeus Olympien à Dion, en Grèce, a trouvé la partie supérieure d’un orgue qui date du premier siècle avant notre ère. En 1994, cette partie fut exposée au palais de la musique à Athènes.

En 1995 et avec l’appui du ministère de l’éducation un prototype de l’orgue fut reconstituée en matière de plastique.  En 1996 un autre prototype fut reconstruit en métal. Au mois d’août de la même année, l’orgue fut exposé en état de fonctionnement dans un congrès sur la musique organisé par l’association ECCD (European Cultural Center of Delphi).

II– Reconstitution de l’orgue des Banû Mûsa

L’originalité de la description minutieuse qui se présente dans le texte des Banû Mûsa nous incite à tenter la reconstitution de cet instrument pionnier. Il n’y a plus qu’à trouver le lieu et les fonds nécessaires.

* by Dr Mona Sanjakdar Chaarani is a researcher in history of science and member of the research group on the scientific Arab heritage affiliated to the CRNS in Lebanon. She was Professor of physics at the Faculty of pedagogy, the Lebanese University in Beirut, Lebanon.

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